Becaye – Humans of Saint-Louis

Becaye – Humans of Saint-Louis

Au cours de nos missions au Sénégal cette année, nous avons eu la chance de rencontrer Becaye. Animateur culturel et musicien, Becaye a une vie des plus remplies. Il a accepté de nous partager une partie de son histoire très touchante.

« Je m’appelle Cheikh Badiane mais mon surnom c’est Becaye, j’habite à Saint-Louis, je suis né ici. Mais une partie de ma jeunesse je l’ai faite à Dakar. Je suis artiste musicien. Je compose mais la plupart du temps je fais de l’interprétation. Je suis saint-louisien, je peux dire que tout le monde me connait à Saint-Louis parce que c’est plutôt une petite ville. J’ai beaucoup d’activités à Saint-Louis. Je donne aussi des coups de main dans une école, je suis animateur culturel.

Est-ce qu’on peut revenir à ton enfance ? Pourquoi es-tu passé de Saint-Louis à Dakar ?

J’ai fait le cycle primaire ici, du CI jusqu’au CE1. Ma mère a eu neuf enfants et un jour mon père nous a quitté, j’avais 8 ans et ça a été très difficile financièrement puisque le fils ainé était encore à l’école, donc ne pouvait pas travailler.

Et pour aller à l’école ça a vite été la guerre avec ma mère. Pourquoi la guerre ? … Parce que parfois on partait à l’école le ventre vide et donc imagine-toi il y avait des élèves qui avaient des parents aisés, qui venaient en classe avec leur sac à dos et des petits pains pour manger à la récréation. Et moi, parfois, je venais sans rien du tout.

Donc ça commence à m’énerver, ça commence à perturber ma jeunesse, je me demande « Mais pourquoi mes camarades sont bien habillés et moi je porte des habits vraiment déchirés ? ». Une fois je suis même parti à l’école sans porter de chaussures.

Et ce qui m’a vraiment poussé à arrêter l’école, c’est qu’une fois je suis parti à l’école avec mon pantalon déchiré derrière. Et le professeur qui posait des questions m’a demandé d’aller au tableau. J’y suis allé et au moment de prendre l’éponge pour effacer le tableau je ne m’étais pas rendu compte que mon pantalon était déchiré parce que j’avais l’habitude de porter ça ; et là tout le monde s’est mis à rire.

Après voilà j’ai eu honte, donc quand je suis rentré à la maison j’ai dit à ma mère « c’est fini », elle a tout fait pour me faire changer d’avis mais c’était décidé je ne retournerai pas à l’école.

Par la suite on s’est souvent bagarré sur ce sujet-là. Je faisais semblant d’aller à l’école et en fait j’allais au marché pour récupérer des fruits avec mes amis, ceux qui sont pourris tu sais. Des affaires de jeunesse quoi.

J’ai commencé à voler ma mère. Elle m’a attrapé une fois quand je volais dans ces affaires parce que j’avais besoin d’argent pour faire un match de foot ou bien aller au stade regarder une équipe de foot. Et là ma mère se dit « je ne peux pas laisser Becaye comme ça, je vais le perdre et il va devenir un bandit, un vagabond de la rue ».

Elle en a parlé avec un de ses cousins et ils m’ont proposé d’aller à Dakar pour des vacances à ce qu’ils disaient « après tu reviendras ». En tant que jeune ça m’a fait plaisir, j’ai dit à tous mes amis : « Oui ! Je vais à Dakar pour des vacances », c’était une fierté. Or aller à Dakar c’était la pire des choses…

Une fois arrivé à Dakar ils me font un briefing, ils sont durs avec moi : « Bienvenue à Dakar ici c’est la ville. À Saint-Louis, tu as commencé le banditisme ici tu vas être normal ou on ramènera ton cadavre à Saint Louis. Sois normal ou meurs ». Je me suis dit : « Ah non je ne veux pas mourir ici. »

Souvent ils me frappent alors je fuis de la maison, je vagabonde dans Dakar. J’ai dormi dans des garages automobiles. Une fois je me suis même blessé, j’avais fui la maison parce qu’ils m’avaient menacé. J’ai beaucoup traîné dans la nuit et puis je suis allé dans un atelier de mécanicien, où je trouvais des cartons et la nuit je dormais dans une petite case. C’était devenu un refuge quand ils me menaçaient. Et comme dans chaque atelier mécanicien, il y avait des chiens sauvages et là-bas il y avait un chien qui s’appelait Black. Il est devenu mon ami et chaque fois je venais car c’était mon ange gardien.

Un jour, en pleine nuit, il pleuvait beaucoup alors l’eau commençait à rentrer dans la vieille voiture dans laquelle je dormais, j’ai essayé de me cacher derrière mon carton mais ça rentrait quand même donc je me suis dit que j’allais me déplacer pour enlever le siège mais quelque chose m’a piqué en fait ça m’avait déchiré la peau, je peux vous montrer ça (il nous montre la cicatrice qu’il a sur la jambe).

Le lendemain j’ai pris du sable avec des feuilles, bah oui je suis un gamin, je mets ça et je l’ai attaché, moi je m’en fous après j’étais allé jouer au foot avec des amis. Des fois, quand je sais que le gars qui m’a menacé est sorti je rentre pour changer mes habits et je sors encore. Mais à un moment j’ai vraiment mal. Mon pied s’était infecté mais je ne le savais pas. Donc je suis resté dans le quartier et une femme s’est arrêtée parce que je pleurais en disant « maman, maman ». Et à un moment donné, et ça, ça m’a étonné hein je te jure c’est un miracle, la dame est passée et elle me demande ce que j’ai, j’ai dit que j’avais mal au pied…

Après elle m’a demandé comment je m’appelais et où j’habitais, elle m’a demandé ce que je faisais ici et elle a regardé mon pied. Et mon pied avait enflé quoi. Elle m’a emmené à l’hôpital. Et le docteur a regardé mon pied en enlevant le bandage ; mon pied puait ! Parce que mon os avait commencé à s’infecter. Il a dit : « Non on ne peut pas toucher ça ». Pour lui la solution c’était de couper pour éviter que l’infection se propage. Mais la dame a refusé, elle a dit : « On ne peut pas lui couper la jambe c’est un gamin qui a un avenir. Je paierai pour que l’enfant garde sa jambe ». Moi évidemment je la suppliais je lui disais « Maman ne me laisse pas tomber ».

Le docteur m’a soigné, puis la dame m’a laissé à l’hôpital et est rentrée chez elle pour me préparer à manger, elle m’avait rapporté des viennoiseries et tout ça. Après elle m’a demandé de m’expliquer : « Mais tes parents sont en vie », « Oui ma mère est en vie », « Et comment elle s’appelle ? », « Awa Fall », et là elle m’a dit : « Tu sais que je m’appelle aussi Awa Fall ? ». Je ne le croyais pas. Et là je me suis dit : « ça, c’est un miracle ».

Finalement c’est mon pied qui m’a sauvé, qui m’a permis de recommencer ma vie à zéro. Ils m’ont soigné et j’ai récupéré grâce à la dame qui me soutenait. Elle a commencé à essayer de prendre contact avec mes parents à Saint-Louis, elle a fait le trajet pour retrouver ma mère. Et j’ai eu la paix quoi. J’ai fait 2-3 ans à Dakar, et ma mère avait besoin de moi donc je suis rentré à Saint-Louis, c’est ça qui m’a fait revenir à Saint Louis.

Est-ce que tu peux revenir au moment où tu as découvert la musique à Dakar ?

Oui, avant ça à Dakar, j’ai rencontré un groupe de musique dans mon quartier. À chaque fois c’est là-bas que j’allais pour voir les répétitions. Et c’est le bassiste qui m’a impressionné, c’est comme ça que j’ai découvert la musique. Une fois à Saint-Louis j’ai démarré avec des amis qui m’ont aidé. Je n’ai pas fait de conservatoire, j’ai appris tout petit dans la rue. Et quelques personnes m’ont aidé pour ça.

A Dakar j’assistais aux répétitions du groupe Missal. J’ai côtoyé beaucoup de groupes à Dakar mais sans être encore devenu musicien, seulement observateur. C’est là-bas que j’ai commencé à m’intéresser à la musique. Pendant les répétitions du groupe Missal, je me perchais au-dessus du mur avec des briques puis ils m’ont remarqué et ils m’ont dit : « Petit, on te voit nous regarder, mais la prochaine fois fais le tour et rentre c’est mieux, tu seras en sécurité ». Et c’est comme ça que j’ai pris l’habitude de venir presque tous les jours et je me mettais dans mon coin pour écouter la musique et quand il y avait des musiques qui me touchaient je riais. Mais voilà c’est le bassiste qui m’a beaucoup impressionné c’est pour ça que je me suis mis à la basse.

Aujourd’hui, que représente la musique pour toi ?

J’ai beaucoup voyagé grâce à la musique et j’ai fait beaucoup de connaissances grâce à elle. La musique m’a ouvert des portes et aujourd’hui encore je le dis, je suis encore un débutant et je le serai toujours parce que j’ai côtoyé de grands musiciens comme Marcus Miller, le bassiste américain. Je l’ai côtoyé grâce au festival international de jazz de Saint-Louis. J’ai aussi fait les premières de certains musiciens, de grosses pointures, comme Lucky Peterson un grand musicien américain. 

Et quel est ton attachement à ton pays ? Qu’est-ce qui te fait revenir malgré tous ces voyages ?

Parce que le Sénégal c’est mon pays natal. Le Sénégal… Là où je vais, je n’ai pas honte de dire et je le dis je suis un citoyen du Sénégal, fils de Saint-Louis. Si je suis un musicien de renommée internationale, je peux laisser mon pays pour aller me baser en France ou au Canada ou en Belgique et je serais un résident là-bas mais même si j’y fais mes preuves c’est nul ; parce qu’ici je fais mes preuves et les gens me reconnaissent. Et je peux aider les jeunes qui sont derrière moi et qui ont envie de faire de la musique, je peux leur donner un coup de main comme on l’a fait pour moi.

Et qu’est-ce que tu trouves incroyable au Sénégal ? D’après toi quelles sont les forces du pays ?

La force du pays c’est l’hospitalité, on est des frères. Dieu fait que j’ai des amis et j’ai des connaissances et donc je fais des gestes. Comme un bassiste, qui avait des problèmes de basse et moi j’en avais trois chez moi donc je me suis dit que je pourrais bien lui vendre la basse. Mais je savais qu’il en avait besoin donc je lui ai donné ça, cadeau. Et maintenant il joue et il gagne de l’argent grâce à la guitare que je lui ai donnée et ça c’est une fierté pour moi. Je n’ai pas fait le tour du monde, les gens ne me connaissent pas mais j’ai fait un geste et ça, ça me fait plaisir quand je le vois jouer avec la guitare, c’est quelque chose. » 

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